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True Story Award 2023

Lutte Contre le Terrorisme: 24 Heures avec les VDP de Tanwalbougou

Empêtré dans l’engrenage sécuritaire voilà maintenant six ans, le Burkina Faso a fait le pari, depuis novembre 2019, d’impliquer davantage les populations locales dans la lutte contre le terrorisme. Le recrutement de ces Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) a marqué un tournant dans le cours de la guerre asymétrique imposée à notre pays. Leur entrée en jeu depuis le début de cette année aurait permis d’engranger des victoires tactiques sur le terrain, mais au prix parfois de violations des droits de l’homme, estime-t-on dans certains milieux. Village-martyr s’il en est, Tanwalbougou, situé à une cinquantaine de bornes de Fada N’Gourma, survit grâce à l’action des VDP. Nous nous sommes rendu le 16 décembre 2020 dans cette localité qui était au cœur de l’actualité nationale il y a quelques mois de cela.

(Ndlr : Pour des raisons évidentes de sécurité, nous avons utilisé des noms d’emprunt ou n’avons pas donné d’indication sur l’identité de nos interlocuteurs).

« L'express » de Tanwalbougou est une « dina » sans âge, rafistolée comme on peut. La guimbarde, qui comporte des traces de soudure partout, menace de se disloquer chaque fois que le véhicule tombe dans les nids-de-poule. Le mauvais état de la voie oblige parfois le chauffeur à abandonner le bitume pour prendre des chemins de travers, paradoxalement plus carrossables.

Personne ne dit mot dans le mini bus. Agglutinés dans cette boîte roulante, les passagers respirent à peine et impossible de trouver le moindre réduit pour s'étirer les jambes.

A peine avons-nous quitté Fada qu’Issouf, un ressortissant de Tanwalbougou avec qui je fais chemin, indique un cratère à travers la vitre arrière : « C'est ici que des militaires sont tombés sur une mine ». Un souvenir qui a de quoi rappeler que, malgré les apparences avec ces nombreux véhicules de transport de personnes et de marchandises ainsi que les motocyclistes que nous croisons, la route nationale numéro 4 est l'un des axes du Mal. Depuis que le Burkina s’est retrouvé dans le collimateur des terroristes, beaucoup d’attaques ont eu lieu sur ce tronçon ou dans des villages qu'il dessert jusqu’à la frontière nigérienne. Les panneaux annonçant l'entrée des localités nous replongent dans ces drames récents. A Namoungou, à une trentaine de kilomètres de la capitale de la région de l’Est, des individus armés non identifiés, selon le vocable officiel, ont effectué le 7 août 2020 une descente au marché de bétail, tirant dans le tas. Bilan : une vingtaine de civils tués et de nombreux blessés. A Pencangou le 11 mai 2020, 25 présumés terroristes ont été arrêtés par la gendarmerie de Tanwalbougou. 12 d’entre eux seront retrouvés sans vie dans les locaux de la brigade. L’enquête officielle a écarté la thèse des assassinats par balles, mais leurs familles et des organisations de la société civile maintiennent mordicus qu’ils ont été exécutés froidement par les pandores.
Sur la route, d'autres stigmates de la guerre qu’imposent au Burkina depuis 2015 des hommes sans foi ni loi : des écoles fermées, une église qui n'a visiblement plus reçu de fidèles depuis Mathusalem.

Tanwalbougou, enfin ! Nous avons avalé la cinquantaine de km de route-48 précisément - en deux heures. Tout le patelin semble avoir été prévenu de notre arrivée. « Je suis venu avec l’étranger », répète à l’envi Issouf qui me sert aussi de sauf-conduit. « Si je ne t’avais pas accompagné, dès que tu étais arrivé, on allait savoir qu’un étranger était là et ta présence allait être aussitôt signalée », explique-t-il.

Tanwalbougou, qui signifie en gulmacéma, « la mare où on lave les chevaux », baigne désormais dans un climat de suspicions vis-à-vis de l’inconnu qui débarque. Un agent de la société nationale burkinabè d’électricité de passage en a fait les frais puisqu’il a été arrêté et conduit à la gendarmerie à cause de son comportement jugé suspect.

La première chose qui frappe en ce mercredi, jour de marché, c'est le dynamisme de l'activité commerciale impulsé par les habitants de la zone. Stationnés sur la RN4, à bâbord ou à tribord, des camions chargent et déchargent diverses marchandises, le marché grouille de monde et les étals sont garnis de produits dont des fruits de saison, des légumes, des tissus. Tanwalbougou est sans doute l’une des plaques tournantes du commerce régional. « Le marché d’ici n'avait rien à envier à celui de Fada », assure un chauffeur qui fait régulièrement la navette entre les deux localités.

Mauvais souvenirs

Des femmes en file indienne qui se rendent au marché bien chargées, le vulcanisateur qui lutte contre un pneu rétif, des gamins insouciants qui jouent, difficile d'imaginer avec ces scènes de vie qu'il y a quelques mois à peine, Tanwalbougou, qui comptait 4 304 habitants, selon le dernier recensement de 2006, était devenu un village fantôme, déserté de son monde. Enlèvements suivis d’exécutions sommaires, assassinats ciblés, vols de troupeaux étaient le lot quotidien des « Tanwalbouguiens ». La brigade de gendarmerie, unique rempart de la cité, a, elle, subi pas moins de quatre assauts terroristes. Aujourd’hui, son dispositif de protection s’est renforcé, mais les stigmates des nuits sombres sont toujours visibles sur sa façade qui a, par endroits, des allures de gruyère suisse avec ces multiples trous creusés par le plomb.

Excédés, apeurés, les habitants avaient décidé de quitter le village pour sauver leur « nez » comme on dit, n’amenant rien parfois avec eux. « On n’avait même pas le temps de prendre quoi que ce soit », témoigne Hama dont le frère a fait partie des premières victimes de la violence. Il a été abattu dans sa chambre au milieu de ses enfants. Le défunt a été enterré juste en face du domicile familial qui grouille aujourd’hui d’enfants joyeux.
Tanwalbougou est comme ressuscité aujourd’hui. Certains parmi ceux qui avaient trouvé refuge à Fada ou ailleurs reviennent avec leurs familles. Le secret de cette résurrection saute à l’œil : partout des hommes, de tous âges, en armes. Les scènes sont surréalistes. On fait son marché arme au poing, et le commerçant qui vous sert a aussi un œil sur sa AK-47 posée à portée de main ; on discute entre copains armes en bandoulière. Un père qui sermonne son enfant turbulent lui fait de grands gestes avec une main et de l'autre tient, presque rasant le sol, son fusil d’assaut, qui ne semble pas impressionner le gamin d'à peine 5 ans. On est comme plongé dans l'image d’Epinal du Far- West véhiculée par les Westerns. Remplacez juste les Colts par les Kalachnikovs. Tanwalbougou s'est armé pour se défendre. Le village est devenu une ville de garnison.

Ils sont nombreux ici à avoir répondu à l'appel du chef de l'Etat qui, après l'attaque du convoi de la mine d’or de Boungou, laquelle a fait 38 morts le 6 novembre 2019, a annoncé le recrutement de Volontaires pour la défense de la patrie. « C’était une question de survie », explique le chef des VDP qui nous reçoit dans son salon, la kalach au pied du fauteuil. A l’entendre, il faisait partie de ceux qui, avant même l'appel du chef suprême des armées, demandaient des armes pour se défendre. Dans la Grande Muette, les gens de son âge ne tiennent plus le célèbre fusil de fabrication russe ; pourtant c'est ce septuagénaire qui, le cas échéant, mène les hommes au combat, toujours en première ligne. Il est rejoint par ce qu'on pourrait appeler l'état-major des volontaires, les plus anciens, qui arrivent avec leurs armes, pendant au cou, au milieu du boubou. Tous étaient de paisibles agriculteurs, éleveurs, commerçants natifs de Tanwalbougou ou installés dans ce patelin depuis plusieurs décennies. Une vie tranquille jusqu’à ce que « les gens de la brousse » comme tout le monde les appelle surgissent. Après l’assassinat du conseiller municipal, Yobi Barry, le 18 septembre 2019, les choses sont tombées de Charybde en Scylla avec notamment des commerçants abattus en plein jour dans leurs échoppes. Plus personne n'était en sécurité, pas même l’autre moitié du ciel : un jour, alors que les femmes s'étaient réunies pour aller chercher du bois, elles ont croisé la route de ces hommes à la libido débudée. Leurs charrettes ont été brûlées, elles-mêmes molestées et, comble de l'horreur, violées. « Lorsqu'ils ont arrêté les femmes, ils connaissaient chacune d'elle. Ils ont dit : toi, tu es la fille d'un tel, toi tu es la femme d'un tel, toi tu es la belle-fille d'un tel. Ils ont violé les femmes de ma famille. Et ils ont dit que si je suis un homme de venir », témoigne un des responsables des VDP qui contient difficilement sa colère et ses larmes.Tous n'avaient plus accès à leurs champs, leur bétail était emporté. Selon la comptabilité qu’ils tiennent, c’est plus d’un millier de bœufs qui ont été emportés. « On a tout perdu. Cette année on n’a pas pu cultiver. Le sac de riz que tu vois, ce sont mes enfants qui me l’ont donné », pointe le chef VDP. « Est-ce que tu as déjà vu un homme égorgé ? Je ne te souhaite pas de voir pareille horreur. Tu as déjà vu les dégâts qu’une balle peut faire sur un corps ? Tous les morts, c’est nous qui sommes allés les chercher et les avons enterrés », ajoute un autre interlocuteur.

« Nous sommes nés ici, nous allons mourir ici »

Le premier réflexe de tous, quand les malheurs se sont accumulés, était bien sûr de se sauver. « Mais fuir n’est pas la solution. Il faut se battre, la différence entre nous et eux, c'est qu’ils ont des armes », se souvient le « commandant » des VDP. Alors, lorsque le recrutement de volontaires débute en avril 2020, c’est lui qui mobilise les ressortissants de Tanwalbougou. Un premier groupe est formé et subit une formation à Fada. La rigueur des épreuves pour des civils, parfois d’un certain âge, et les menaces proférées par les bandes armées contre ceux qui osaient s’engager ont suffi à pousser plus d’un à abandonner en cours de route. Mais le gros de la troupe est allé jusqu'au bout. Leur nombre ira croissant. « Les gens ont vu que quand on devenait VDP, on ne mourrait pas, donc ils sont venus eux aussi ».
De retour à Tanwalbougou, cette fois munis d'armes, les premiers auxiliaires de l’armée ne tardent pas à subir leur baptême du feu. Très vites les accrochages se multiplient, les volontaires mettent en déroute leurs vis-à-vis. Ils racontent leurs hauts faits d'armes comme ce jour où ils ont récupéré 11 motos et de l’armement. Ils avaient appris que des terroristes devaient se réunir et ils les avaient devancés au lieu de la rencontre. Les impacts de balles sur leurs motos, devenues de véritables chars de combat, témoignent de l’âpreté des affrontements et des risques qu'ils prennent. Parfois, leur vie n’a tenu qu’à un cheveu.
Les gardiens de Tanwalbougou disent agir toujours sous le contrôle de l’armée. Ce sont eux qui ouvrent la voie aux militaires pendant les missions. En cas d’alerte, tant que les pandores traîneraient le pas pour diverses raisons, eux n'hésiteraient pas, selon leurs récits épiques, à sauter sur leurs motos et à foncer seuls sur l’ennemi. « Nous sommes nés ici, nous allons mourir ici » ; « On n’a plus peur, nous sommes déjà des cabris morts » ; « Aucune arme ne peut tuer un homme si Dieu n’a pas décidé qu’il va mourir ce jour-là », estiment-ils avec un soupçon de fatalité mâtiné de volontarisme.

Ce courage a permis d'éloigner l'ennemi du village. Ce qui a favorisé le retour de certains déplacés internes, mais pour autant la moitié de la population n'est toujours pas revenue, assurent nos interlocuteurs.
Les supplétifs de l’armée veillent sur ceux qui ont eu le courage de rentrer au bercail, effectuant des patrouilles de jour comme de nuit. Ils disposent également d’un système de renseignement, à ce qu’ils en disent, très efficace. Symboles forts de leur réussite, les élections couplées, présidentielle et législatives du 22 novembre 2020, ont eu lieu à Tanwalbougou, contrairement à d’autres localités de la région de l’Est ; les mosquées et les églises y sont aujourd’hui ouvertes.

En patrouille

« On te prévient, si ça tourne mal, tu peux y rester mais nous on va s’en sortir ». Je n’ai pas le temps de méditer sur cet avertissement d’un VDP que déjà la colonne de motos s’ébranle du domicile du chef pour une tournée des positions tenues par les éléments sur le terrain. Un rideau défensif protège Tanwalbougou. A différentes entrées du village et à des endroits stratégiques comme les écoles et les centres de santé, sont installés des postes protégés par des amas de futs et de sacs de sable. A peine sorti de l’adolescence, la frimousse attendrissante, Hamidou tient fermement son arme, le canon pointé vers l’horizon dégagé. Les assaillants arrivent parfois de ce côté du village. Si jamais ils débarquent, le jeune volontaire les verra. Il sait déjà ce qu’il a à faire : tenir coûte que coûte sa position le temps que les renforts arrivent.
Grâce à cette bulle protectrice qui l’entoure, le CSPS, après des mois de fermeture, peut recommencer à fonctionner. En cet après-midi, de nombreuses mamans ont amené leurs bébés en consultation. Les cris des nourrissons font renaître l’endroit. A l’école, située à proximité, la vie scolaire a également repris son cours. Les gamins, malgré leur âge, comprennent bien ce qui se passe. « Des gens venaient tirer et on a fui », dit innocemment une écolière.
Nonobstant cette accalmie, certains fonctionnaires n’ont pas repris du service. Ceux qui sont revenus l’ont fait par devoir ou parce qu’ils n’ont pas le choix. « On travaille la peur au ventre », confie l’un d’eux, même s’il reconnaît que la présence des VDP est rassurante et permet de donner un semblant de normalité à une situation qui demeure volatile. Car la menace n’a pas totalement disparu et elle n’est jamais même loin. Mis en déroute plusieurs fois dans les combats face-à-face, les terroristes ont changé de méthode et redoublé de fourberies à faire pâlir Scapin : nuitamment, ils viennent placer des mines sur les sentiers situés à la périphérie de la bourgade, à peine 1 à 2 km du centre du village, traversé par la RN 4. Une équipe de volontaires est déjà tombée sur un de ces engins mortels. Mais ce jour-là, l’objet enfoui n’a fait aucune victime. Le Chef VDP conserve d’ailleurs dans son salon comme un trophée de guerre le fil qui a servi à actionner le dispositif. Mais tout le monde n’a pas eu cette chance. Le 26 septembre dernier, Sylvie Yougbaré et son bébé de 4 mois qu’elle portait au dos sont décédés lorsque leur vélo a roulé sur une bombe artisanale. Par on ne sait trop quel miracle, elles sont pour l’heure les seules victimes humaines de ces armes sales. La plupart du temps, ce sont des animaux, parmi les rares qui n’ont pas été emportés, qui finissent déchiquetés en mille morceaux. Si ces joujoux dangereux n’ont pas endeuillé plus que ça, c’est parce qu’ils sont parfois repérés à temps et désamorcés. La formation des VDP intègre d’ailleurs la détection des EEI (Engins explosifs improvisés). Dans cette localité de la région de l’Est, les détecteurs de métaux couramment utilisés dans l’orpaillage trouvent une nouvelle utilité : ils sauvent des vies précieuses.
Alors que l’action des volontaires est généralement saluée par les populations locales et les forces de défense et de sécurité sur place, ils font régulièrement l’objet de critiques de plusieurs organisations qui les accusent de violations des droits de l’homme. Parmi les accusations les plus récurrentes : ils s’en prendraient uniquement aux membres de la communauté peule. Les VDP de Tanwalbougou, composés à majorité de Moosé et de Gourmantché, n’échappent pas à ces procès.


Dans le domaine abandonné du cheik


La colonne de motos s’éloigne du village, la plupart dans le groupe portent leur arme. Sur le chemin, ils tiennent à s’arrêter pour indiquer le cratère creusé par l’explosion d’une mine. Puis, comme sortie de nulle part, au milieu de cette brousse, une villa R+1 digne des imposantes demeures du quartier chic de Ouaga 2000. La sortie d’air d’un climatiseur est visible sur la façade. La maison était alimentée en énergie grâce à des panneaux solaires, indiquent les VDP.

Outre la villa, une école franco-arabe, une mosquée, des maisonnettes, plusieurs cases sont à l’abandon. L’herbe qui couvre une partie du terrain a été brûlée par un incendie, de même que le chaume de certaines cases. « Un feu de brousse », assurent les volontaires. Ce vaste domaine appartient au cheik Amadou Bandé, personnage très controversé, qui était installé à Tanwalbougou depuis 36 ans. Le guide religieux et une bonne partie de la communauté peule ont aujourd’hui quitté la localité. « Nous ne les avons pas chassés, ils sont partis d’eux-mêmes ». Pour les « militaires en permission » comme disait Thomas Sankara parlant des civils, c’est le marabout qui offrait le gîte et le couvert à ceux qui attaquaient le village. « Chaque fois qu’il y avait une réunion chez lui, le lendemain il y avait une attaque », affirme le chef des volontaires. Le groupe tient un enregistrement audio d’une conversation téléphonique où celui qui est présenté comme un présumé terroriste avoue se trouver dans la demeure du cheik.
Toutes ces accusations, Amadou Bandé les avait balayées du revers de la main au cours d’une conférence de presse qu‘il avait organisée le 24 juillet 2020 en son domicile de Ouagadougou. « Je ne suis ni terroriste ni complice des terroristes, ni un bras financier du terrorisme », avait-il en substance réagi, dénonçant au passage des dérives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Comme le 29 juin dernier, lorsque plusieurs personnes avaient été arrêtées après une descente de l’armée dans le domaine où nous nous trouvons. 7 d’entre elles seront retrouvées mortes, et les corps abandonnés. Trois semaines plus tôt, deux jeunes envoyés du guide religieux auraient été exécutés sans autre forme de procès sur la base seulement de leur appartenance ethnique. Cette fois, ce sont les VDP qui ont été pointés du doigt pour ce double homicide. « Nous n’avons rien à avoir avec ça. C’est un coup monté par le cheik et les terroristes et ils nous ont mis ça sur le dos », réfutent les mis en cause.

D’une manière générale, les volontaires se disent outrés par tout ce qui se raconte sur eux sur les réseaux sociaux ou qui est véhiculé par certaines organisations : « C’est nous les victimes, ce sont nos bœufs qui ont été emportés, ce sont nos femmes qui ont été violées. Nous ne faisons que nous défendre ». Et un autre d’appuyer : « Nous n’avons pas d’ennemis, notre ennemi c’est, celui qui nous attaque…nous ne tuons pas des membres d’une communauté mais des terroristes ».

A les entendre, il n’y a pas de conflit ethnique dans leur contrée. Ils en veulent pour preuve la présence de membres de la communauté peule dans leurs rangs. Il existe même à Tanwalbougou un groupe de VDP constitué uniquement de Peuls, dans le quartier Mourdéni. Ils sont au moins une vingtaine « Nous avons toujours vécu en symbiose avec eux. Ce sont eux qui gardaient généralement nos bêtes », affirme le chef VDP. Il sort de ses affaires une pièce d’identité burkinabè portant le nom de Bandé D. « C’est un ami peul qui a disparu depuis une année. C’est moi qui fais les démarches pour le retrouver. Je suis allé dans les prisons à sa recherche. Si j’avais un problème avec les Peuls, je n’allais pas le faire. Je suis sûr qu’il a été tué par les terroristes ». Et un autre de témoigner : « Dans ma famille, il y a des Peuls qui, après plusieurs années avec nous, ont donné notre nom de famille, Lankoandé, à leurs enfants ».
A Tanwalbougou, il fut un temps où la symbiose était parfaite entre les trois principales communautés, moosé, gourmantché et peule. Les mariages mixtes étaient courants. La plupart des habitants parlent d’ailleurs les trois langues. Mais cette cohésion sociale a volé en éclats suite aux coups de boutoir des forces du Mal qui ont recruté dans toutes les ethnies. De cette cohabitation harmonieuse d’antan il reste quelques solides lambeaux. La preuve ? Dans la « Dina » brinquebalante qui me ramène à Fada, une femme peule montée en chemin fait l’objet de gentilles moqueries par parenté à plaisanterie, signe sans doute que le pacte social n’est pas totalement rompu.


Encadré 1: Témoignage d’un peul VDP

« Ce n’est pas une communauté qui est terroriste, mais l’individu »

« Il y avait beaucoup de souffrances à Tanwalbougou. On n’a jamais vu ce qui nous est arrivé. Ils ont assassiné un de nos grands frères. On se demandait pourquoi et on pensait que ça n’allait plus se reproduire. Mais ça été le contraire.
Si tu as un mal et tu vois le remède, tu vas te soigner. C’est pour ça que je me suis engagé pour éviter cette souffrance. On a couru, on a parlé, on a pleuré, on n’a pas eu de solution, il fallait se sacrifier pour la patrie. Ce n’est pas une communauté qui est terroriste, c’est l’individu. Il y a beaucoup de Barry VDP. Si on dit qu’il n’y a pas de Peul VDP, ça n’a pas de sens. Je ne suis pas VDP seulement pour Tanwalbougou, mais je suis VDP pour défendre mon quartier, pour défendre ma patrie. »


Encadré 2: Table des matières

Les volontaires suivent une formation intensive de 14 jours. Au programme : armement, instruction sur le tir, tirs, combats, instruction civique, technique de détection des engins explosifs improvisés, sauvetage et soins de premier secours, utilisation du GPS, Statut du VDP, combat corps à corps, Droit international humanitaire. Difficile de faire le tour complet en deux semaines. Selon une source militaire, il s’agit avant tout de notions de base pour leur permettre d’être suffisamment autonomes. Le moins que l’on puisse dire est que tous ne deviennent pas après cette formation commando des as de la gâchette, en témoignent les fréquents accidents, parfois mortels, consécutifs à de mauvaises manipulations de leur armement. Dans les rangs des VDP de Tanwalbougou, ce sont deux personnes qui se sont déjà blessées de cette façon.

Encadré 3: Du nerf de la guerre

Les volontaires sont recrutés par groupe de 10 pour un contrat de 12 mois renouvelable. Chaque groupe a droit à un appui financier mensuel de 200 000 francs CFA pour le fonctionnement. Une somme insignifiante qui n’assure pas toujours leurs besoins en carburant, selon des chefs VDP que nous avons pu contacter. Sans compter que beaucoup n’ont plus d’autres activités que défendre la patrie.
En cas de blessure dans le cadre de l’exécution de leur mission, la prise en charge des VDP est assurée par l’Etat dans les centres de santé. Lorsqu’il s’agit d’une blessure provoquant une invalidité permanente, une prime de 25 000 francs est versée au volontaire pour une période non renouvelable de 5 ans. En cas de décès, l’Etat contribue à hauteur de 100 000 francs à l’inhumation. Les ayants droit du VDP décédé en opération bénéficient, eux, d’un soutien de 1 million en un seul et unique versement.

Encadré 4: Le gilet pare-balles mystique

Les VDP de Tanwalbougou semblent être de sacrés veinards. Malgré les multiples accrochages avec les terroristes, ils n’ont enregistré, à la date de notre séjour, aucune perte en vie humaine dans leurs rangs, juste quelques rares blessés. Lorsqu’une mine explose, c’est après le passage de leur convoi, et les balles ricochent sur leurs motos sans jamais atteindre les conducteurs. Et cette phrase que l’un d’eux m’avait lancée donne le sentiment qu’ils se sentent invincibles : « Si ça tourne mal, tu peux y rester, mais nous, on va s’en sortir » m’avait-il dit, sibyllin. Et de fait, les volontaires disposeraient d’une arme secrète cachée sous leur habillement. Durant tout le temps passé avec eux je ne m’en étais pas aperçu : il s’agit d’une sorte de gilet couvert d’amulettes. « Si tu tires sur nous, ta balle n’atteindra pas sa cible, elle sera déviée », assure un VDP. Il ne reste donc plus qu’à en doter toutes nos FDS.

Encadré 5: Dynamique des plaques

Avec la création des VDP, beaucoup de membres des groupes d’autodéfense koglwéogo ont troqué leurs mousquets contre les kalachnikovs fournies par l’armée. Les VDP de Tanwalbougou en compte certains. Selon nos informations, certains « gardiens de la brousse » auraient, eux, rejoint par contre le camp des terroristes où ils ont retrouvé d’anciens bandits de grand chemin qu’ils combattaient. En effet, ceux qui, aujourd’hui, prétendent agir au nom de Dieu, étaient pour la plupart de présumés criminels qui s’illustraient par des braquages dans la région de l’Est. Ce qui a été aussi observé à Tanwalbougou, c’est également ces bergers qui se sont retournés contre les éleveurs dont ils gardaient les animaux, sous couvert du terrorisme.

Encadré 6: « Vous êtes des voleurs, pas des djihadistes »

Il n’est pas rare pour les volontaires de Tanwalbougou de recevoir des appels téléphoniques de leurs ennemis jurés. Généralement le mauvais garçon au bout du fil menace et somme les VDP de déposer les armes. Mais ces derniers ne se laissent pas faire. Voici quelques extraits du verbatim de la conversation entre un terroriste et un VDP. C’est ce dernier qui a enregistré l’appel. Leurs échanges se sont tenus en langue mooré.

 

Terroriste (T) : Sachez qu’on se bat au nom de Dieu. Si on a quitté le Mali pour venir ici, ce n’est pas pour venir nous battre avec des koglwéogo. On n’est pas venu nous battre avec des civils sans armes, on est venu nous battre avec les militaires. Maintenant que vous avez décidé d’aider les militaires…

VDP (V) : On n’a pas décidé d’aider l’armée, mais on s’aide nous-mêmes. Depuis que vous tuez des gens, je ne vous ai jamais vu tuer un militaire, c’est chaque fois des civils

T : C’est Dieu qui nous dit de tuer. Dieu a dit que celui qui ne suit pas son chemin n’est pas avec Lui. C’est pour ça qu’on tue les militaires.

V : Vous, vous n’êtes pas des hommes de Dieu, vous tuez d’innocentes personnes

T : Si tu nous vois tuer un civil qui n’a pas d’arme, c’est que la personne est un politique

V : Mais chez vous, vous avez aussi des politiques

T : Ce n’est pas comme ça, écoute-moi…

V : Tu es où ?

T : Je suis dans votre village, à Tanwalbougou, je sais tout ce qui se passe à Tanwalbougou

V : C’est faux, tu ne peux pas être à Tanwalbougou

T : Tu dois te convertir et suivre les enseignements
V : Si un jour je me convertis pour être comme vous, que Dieu m’ôte ma vie ce jour-là

T : Dieu peut faire ça aussi, il peut t’enlever la vie tout de suite, là où tu es assis.

V : Il peut enlever ta vie de la même façon.

T : Sache qu’un fusil ne peut pas tuer quelqu’un. Nous avons donné notre vie à Dieu.

V : Ce n’est pas vous seulement, nous aussi on a donné nos vies à Dieu

T : Si vous mourez dans cette voie, vous irez en enfer…. On ne va jamais laisser le combat ni aujourd’hui, ni demain

V : Nous-mêmes, on ne veut pas que vous laissiez le combat, Dieu vous détruira. Que Dieu vous détruise !

T : Celui qui ne respecte pas la parole de Dieu, on va le tuer. Vous devez vous convertir et laisser le combat. Les Français ne peuvent pas vous aider. Quand on était au Mali, la France aidait le Mali. Le Mali avait des armes, mais malgré ça, le Mali n’a pas pu nous vaincre. Et nous, nous venons ici pour tuer les militaires et vous, vous décidez d’entrer dans le combat…

V : Tu parles de Dieu mais tu ne connais pas Dieu. Dieu n’a jamais dit de tuer quelqu’un pour prendre son patrimoine. Je connais le Coran. Si tu étais un homme de Dieu, tu devrais savoir que Dieu est contre la violence. Même le prophète a utilisé la persuasion pour convertir certains. Ce n’était pas par la force… Je vous demande aussi de vous convertir parce que ce n’est pas Dieu que vous suivez, mais Satan. Même les kafr (ndlr : mécréants) sont mieux que vous. Vous êtes des voleurs, pas des djihadistes. Un djihadiste ne tue pas pour voler les biens d’autrui. Vous avez volé les animaux, et vous n’avez rien ramené. On n’a jamais entendu qu’un musulman a tué un autre musulman pour prendre son patrimoine. Tous ceux que vous avez tués sont des musulmans. Il y a des gens parmi eux dont les enfants sont des cheiks et de grands dignitaires musulmans. Vous êtes perdus.